Jean
Claude
LARRONDE,
historien,
membre du Bureau
d'Eusko Ikaskuntza,
sur
le thème : "Gernika
dans la
mémoire".
GERNIKA
DANS
LA MEMOIRE
Gernika : la simple
évocation de
ce nom d’une bourgade de la province de Biscaye entraîne
une foule d’images.
Images mêlées, de recueillement et de douleur,
d’émotion et de malheur, de
dignité et d’espoir aussi.
Gernika, c’est tout
à la fois le
berceau de la démocratie basque, le lieu sacré par
excellence des libertés et
des traditions basques mais c’est aussi le lieu où est
planté l’arbre qui
incarne ces mêmes libertés et traditions, le fameux
chêne chanté par un barde
du XIX °s, José Maria Iparraguirre. C’est encore
l’endroit d’un terrible
bombardement sur une population civile sans défense lors de la
guerre civile
d’Espagne en 1937 , événement qui eut une
répercussion considérable et qui fut
immortalisé par un peintre de génie, Pablo Picasso.
C’est enfin le siège de la
démocratie basque contemporaine, l’actuel statut
d’autonomie des provinces
basques d’Alava, de Biscaye et de Gipuzkoa s’appelant
« Statut de
Gernika » et les actuels présidents ou lehendakaris
du gouvernement autonome basque étant dans cette ville
investis de leurs
fonctions, comme le fut José Antonio de Aguirre en 1936.
C’est toutes ces
images de Gernika,
qu’il me faut maintenant successivement restituer.
Gernika,
c’est tout d’abord le lieu des Assemblées de Biscaye.
Les Assemblées (Juntas Generales) de la province de Biscaye se
réunissaient dans la
commune (anteiglesia) limitrophe de
Lumo (Lumo fut annexée par Gernika en 1882). Gernika fut
fondée en 1366 par le
comte Don Tello, seigneur de Biscaye et on pense que c’est depuis
le XV°s que
les Assemblées se déroulent à Gernika. Ce
système politique traditionnel fut
largement aboli en 1839, à la fin de la première guerre
carliste et
complètement aboli en 1876, à la fin de seconde guerre
carliste.
La base du système
politique
traditionnel était le Fuero (le For).
Une différence doit être faite avec le concept de
« privilèges ». Les
privilèges sont des franchises octroyées par le pouvoir
central à des provinces
ou à des communautés. Dans le cas du Fuero,
il s’agit d’us et de coutumes, donc d’un droit
coutumier, qui à un moment
donné, pour des questions de commodité, va devenir
écrit.
Ces Fueros de
Biscaye qui existaient avant le XIII°s vont faire l’objet
de deux rédactions successives : le Fuero
Viejo (Ancien For) qui date de 1452 et qui est surtout un droit
civil et le
Fuero Nuevo (Nouveau For) qui date de
1526 et qui est plutôt un droit public.
Le Fuero
de Biscaye avait pour objectif de faire bénéficier les
habitants de la province d’un bon gouvernement et d’une
bonne justice.
Tout d’abord, le
Fuero s’efforce de
limiter les pouvoirs du Seigneur sur la province.
Le
seigneur doit prêter serment de
respecter les Fueros et doit les confirmer. En 1379,
Juan I° qui était seigneur
de Biscaye depuis déjà huit ans, hérite de la
Couronne de Castille ; ainsi,
la Seigneurie de Biscaye et la Couronne de Castille ont depuis cette
date de
1379, le même titulaire. Mais malgré ce fait, la situation
de la Biscaye ne
change pas ; elle conserve ses Fueros ;
son système politique particulier n’est pas remis en cause
par cette pure et
simple union personnelle en la personne du souverain.
Le Roi de Castille doit
jurer de
respecter les Fueros de Biscaye pour
être reconnu comme Seigneur de Biscaye ; cette obligation
montre la
subordination du pouvoir au droit. Le premier serment de respecter les
Fueros
dont on ait connaissance date de 1333. Si le Roi de Castille et
Seigneur de
Biscaye ne jure pas de respecter les Fueros, il y aura application de
la
formule : « se obedece pero no
se cumple » (on obéit mais on
n’exécute pas); autrement dit, la
loi sera obéie, respectée mais non exécutée
ou appliquée ; cette formule
trouvait à s’appliquer également lorsque les ordres
du Seigneur étaient jugés
illégaux par les représentants de la province.
C’est ce qu’on appelle le
« pase foral » : c’est
la forme constitutionnelle du refus d’appliquer une mesure
contraire à la loi
du pays ; elle garantit le respect de ce qui est stipulé
dans le Fuero.
Le but est de mettre un
frein aux
excès ou aux erreurs du souverain, sans toutefois avoir recours
à la violence.
Les ordres jugés illégaux du Seigneur devaient être
obéis, ce qui sauvegarde le
système et le symbole hiérarchique, mais non
exécutés, ce qui sauvegarde les
droits du peuple ; on peut remarquer que le dernier mot appartient
au
peuple.
Les
pouvoirs du Seigneur sont ainsi
définis et restreints (il faut dire que les Rois de Castille
résidaient en
permanence à l’extérieur de la Biscaye ; ils y
envoyaient un représentant,
le Corregidor).
L’histoire du
système constitutionnel
biscayen entre 1526 – date de la rédaction du Fuero
Nuevo- et 1839 –date de la fin de la première guerre
carliste- reflète la structure immuable de l’ancien
régime caractérisé par la
permanence du système foral. Jusqu’en 1839, la Biscaye se
gouverna elle-même,
ne remplit pas d’obligations militaires envers l’Espagne et
fut une zone de
libre-échange (la douane espagnole n’était pas sur
la côte mais à la frontière
entre la Biscaye et la Castille).
En second lieu, on peut
dire que le
Fuero organise les droits de l’individu.
L’égalité
de tous les Biscayens
devant la loi est préservée par un moyen unique : la
noblesse de tous les
Biscayens. On est noble par la terre, non par le sang. Tous les
Biscayens sont
nobles. C’est la hidalguia universal,
la noblesse universelle qui traduit une parfaite égalité
juridique et civile et
qui fut reconnue par le roi de Castille à tous les Biscayens en
1394.
Sur le plan pénal,
il existe
l’équivalent biscayen de l’institution anglo-saxonne
de l’Habeas Corpus : nul ne peut être
arrêté sans un mandat
délivré par un juge compétent. Le
juge
était saisi sur plainte ou dénonciation mais il
était interdit d’accuser
nommément une personne ; l’accusateur ne pouvait
qu’indiquer le lieu, les
jour et heure et les circonstances du fait avec les noms des
témoins ;
seul le fait était dénoncé et c’était
le juge qui devait déterminer l’auteur. Toute
personne suspectée devait être convoquée sous
l’arbre de Gernika dans un délai
d’un mois pour se justifier de l’acte qui lui était
reproché. L’Habeas Corpus britannique date
de 1679.
On peut remarquer que l’Habeas Corpus
biscayen est antérieur de plus de deux siècles. Par
ailleurs, il convient de
relever aussi l’interdiction de la torture. Enfin, les Biscayens
ne pouvaient
être arrêtés pour dette ordinaire. Leur maison,
leurs armes, leurs chevaux ne
pouvaient être saisis. La maison d’un basque était
inviolable.
Parmi les droits
économiques, on peut
citer : la complète autonomie fiscale de la Biscaye (la
Couronne ne
pouvait lever des impôts) ; la liberté
d’acheter, de vendre, de faire
commerce ; l’interdiction de tout monopole et la protection
de l’industrie
du fer ; l’entière liberté donnée au
père de famille de transmettre ses
biens à n’importe lequel de ses enfants –celui
ou celle qui était jugé le
ou la plus apte à gérer le patrimoine familial, celui-ci
étant inaliénable et
indivisible-: c’est la troncalidad ou
défense de la maison-souche.
Pour terminer cette rapide
étude du
régime traditionnel biscayen, il convient d’insister sur l’attachement
des Biscayens
au Fuero. Entre le XVII° et le XIX° s, on relève
une résistance constante
face aux attaques farouches de ceux qui, depuis Madrid, cherchaient
à détruire
le système foral. Les attaques contre les Fueros
furent repoussées par les Biscayens. On appelle ces
révoltes populaires des
Biscayens – les motifs pouvaient être économiques,
politiques ou sociaux- des matxinadas : ainsi en
1631 (essai
par la Couronne de Castille d’instaurer un monopole de production
et de vente
de sel), en 1717 (tentative de transférer les douanes à
la côte) et en 1804
(projet de création d’un nouveau port pour affaiblir
Bilbao).
Le
Chêne
Le Chêne de Gernika
est peut-être le
symbole le plus universel des libertés et traditions basques.
Les plus anciennes
références à cet
arbre datent du XIV°s. Les Assemblées
Générales de Biscaye se réunissaient sous
l’arbre de Gernika. A
l’origine, il y
avait un seul banc de pierre, puis 7
sièges de pierre en 1565 qui disparurent en 1828 lorsqu’on
commença à
construire la Casa de Juntas, le
siège de l’Assemblée.
On sait que l’arbre
est le symbole de
la vie en perpétuelle évolution à travers ses
feuilles qui poussent et qui
meurent pour repousser au printemps suivant ou encore à travers
ses fruits.
Parmi les arbres, le chêne est l’arbre sacré dans de
nombreuses
civilisations ; c’est un symbole de majesté par sa
taille, synonyme de
force. Jean Haritschelhar –qui fut professeur à
l’université de Bordeaux III et
président de l’Académie de la Langue Basque Euskaltzaindia
-fait remarquer que si en français, on
dit « fort comme un
turc », en espagnol, on dit « fuerte
como un roble » (fort comme un chêne).
Un ancien chêne
mourut en 1564. Cette
année-là marque la date de la première plantation
dont nous avons des
documents. Cet arbre mourut en 1811, âgé de 247 ans. Un de
ses rejetons, planté en 1742 dura
150 ans et sécha en 1892
(c’est le tronc de ce chêne qui est conservé dans un
temple construit en 1929).
Le suivant fut planté en 1860 et ne survécut pas à
la canicule de l’été
2003 ; le chêne actuel fut planté en février
2005 par le lehendakari Juan José Ibarreche.
Il est à noter que
l’arbre de Gernika
et son symbole étaient connus des philosophes du Siècle
des Lumières et des
Révolutionnaires de 1789 : Jean-Jacques Rousseau lui
adressa son salut
ainsi que le conventionnel Tallien dans un discours de 1794 ;
lorsque les
soldats de la Convention sous le commandement du général
Moncey atteignirent
Gernika en juin 1795, ils présentèrent les armes et
saluèrent l’Arbre comme le
Père de tous les Arbres de la Liberté que l’on
avait plantés durant la
Révolution française de 1789.
« Gernikako Arbola »
C’est la chanson
« Gernikako Arbola »
(L’Arbre de
Gernika) de José Maria Iparraguirre qui donna au
célèbre chêne, ses
lettres de noblesse.
José Maria
Iparraguirre était né en
1820 dans un petit village du Gipuzkoa, Villareal de Urretxu.
Il prend part dans le camp
carliste à
la première guerre carliste ; il est à peine
âgé de 14 ans ; il y est
blessé et à la fin de la guerre, en 1840, il passe en
France et s’accompagnant
de sa guitare, il commence à composer de nombreuses chansons. Il
participe à la
Révolution de 1848 mais
bientôt Napoléon
III l’expulse ; il vit en Suisse, en
Italie, en Allemagne et à Londres en 1851.
En 1853, il est de retour
dans l’Etat
espagnol et plus précisément à Madrid. C’est
là qu’il compose et qu’il chante
« Gernikako Arbola » qui
immédiatement va devenir une sorte de « Marseillaise
Basque » et va
s’imposer comme un véritable hymne des provinces basques.
Il chante cette
chanson pour la première fois- en
1853,
donc- dans un café où se réunissaient des Basques,
le café de San Luis, calle
de la Montera, près de la Place
Puerta del Sol. L’année
suivante, il la
chante en Pays Basque, à Urkiola en Biscaye, pour la fête
de Saint-Antoine. Le
succès de ce chant résulte du fait que tous les
« fueristes »,
c'est-à-dire tous les partisans du rétablissement du
système politique
traditionnel des provinces basques vont se reconnaître dans cet
hymne, que ces
partisans soient d’origine carliste comme d’origine
libérale.
Gernikako arbola Da
bedeinkatua | L’arbre de Gernika
est béni, |
Euskaldunen artean Guztiz
maitatua | tout à fait
aimé parmi les Basques ; |
Eman da zabal
zazu Munduan frutua | donnez et répandez
votre fruit dans le monde |
Adoratzen
zaitugu Arbola Santua! | nous vous adorons, Arbre
sacré |
On
voit en particulier avec le vers “donnez et répandez votre
fruit dans le monde”
que ce chant se place à l’exact opposé du repli
ethnique ou identitaire dans lequel
certains voudraient de toute force
enfermer les Basques.
L’enthousiasme
pour cette chanson est énorme, impressionnant. Bientôt,
Iparraguirre est
considéré comme un agitateur des foules ; il est
expulsé du Pays Basque en
1855.
En
1858, il s’embarque à Bayonne avec sa fiancée pour
l’Amérique et vit en
Argentine, puis en Uruguay. Il est berger et ne cesse de composer des
chansons
et de chanter. Mais il est aux prises avec d’énormes
difficultés financières.
L’appel du pays natal est le plus fort. En 1877, abandonnant sans
vergogne sa
femme et ses huit enfants, il revient au Gipuzkoa. Une souscription
lancée dans
les milieux basques d’Argentine couvre les frais du voyage.
Il mène une vie difficile,
seulement aidé par
quelques maigres subsides votés par les Députations du
Pays Basque. Il meurt en
1881 et est enterré dans son village natal.
On aura une idée de
la ferveur avec
laquelle était reçu cet hymne par les masses basques
à la lecture de ce passage
d’un célèbre discours prononcé par le
sénateur de la province d’Alava, Pedro de
Egaña, au Sénat espagnol en 1864 :
« .. .en entendant la voix de
cet homme [Iparraguirre] et parce qu’il parlait des Fueros, la
foule se
pressait, mettait un genou à terre et
levait vers le ciel ses bras nerveux pour jurer comme les
anciens
Cantabres de mourir pour les lois saintes de leurs
parents ! »
Gernika, symbole des Fueros basques
C’est
donc au cours du XIX°s que
Gernika s’affirme comme symbole des Fueros basques ; elle le
fera par la
combinaison de 3 éléments : un complexe
architectural (la construction de
l’actuelle Casa de Juntas de 1826 à
1833), les guerres carlistes (au cours desquelles les
prétendants carlistes au
trône d’Espagne Carlos V et Carlos VII jurèrent de
respecter les Fueros) et un hymne(le « Gernikako Arbola »).
Les
derniers vestiges du système foral (exemptions fiscales et
exemption du service
militaire) furent abolis à la fin de la seconde guerre carliste
par la loi du
21 juillet 1876.
Cette
abolition forale fut rudement
ressentie par de larges secteurs de la population basque ; chaque
année, à
la date anniversaire du 21 juillet, des manifestations étaient
organisées à
Gernika ; ces protestations s’étendaient même
dans la diaspora basque
puisque la société Laurak-Bat(littéralement
« Les 4 en Un » ;
allusion à l’union des quatre provinces basques
péninsulaires) de Buenos Aires
fondée en 1877 vota chaque année pendant un
siècle, chaque 21 juillet, une motion
protestant contre l’abolition du
système foral du pays Basque.
Sabino
Arana Goiri, fondateur du nationalisme basque, s’appuiera sur le
profond
sentiment de frustration présent
dans
les provinces basques, suite à l’abolition des Fueros,
et ce, dès le début de son action politique, en 1893.
La
constitution à Gernika du gouvernement autonome basque de 1936
Le soulèvement du
général Franco
contre les institutions légitimes de la Seconde
République espagnole entraîna
le 18 juillet 1936 le déclenchement de la guerre civile.
Deux mois et demi plus
tard, le 1°
octobre 1936, le Parlement espagnol accorda le Statut d’autonomie
aux provinces
basques de Gipuzkoa, Biscaye et Alava, statut d’autonomie qui
avait été adopté
par référendum en novembre 1933, dans celles-ci.
Le
7 octobre 1936, José Antonio de Aguirre,
député du Parti Nationaliste
Basque, fut élu président du Gouvernement Provisoire du
Pays Basque. Le Parti
Nationaliste Basque, parti d’inspiration
démocrate-chrétienne n’était pas
membre du Frente Popular (Front
Populaire) mais s’était
rangé du côté de
la République dès le début du conflit.
L’élection d’Aguirre eut lieu le matin à
Bilbao ; la cérémonie officielle
d’intronisation eut lieu l’après midi du
7 octobre, à Gernika. Le front des combats était à
peine à 20 kilomètres.
José Antonio de
Aguirre prononça le
serment suivant devant l’Arbre de Gernika :
Jaungoikuaren aurrean
apalik
Euzko-lur ganian zutunik,
Asabearen gomutaz,
Gernikako zuaizpian
Nere
aginduba ondo betetzia
Zin
dagit
Humble devant Dieu,
Debout sur la terre basque
Dans le souvenir de nos
aïeux
Sous le chêne de
Gernika
Je jure
De remplir
fidèlement mon mandat
Il est à noter que
le gouvernement de
José Antonio de Aguirre comprenait un représentant de
tous les partis
politiques présents dans les provinces basques, qui
étaient opposés à la rébellion
de Franco.
Il convient d’ajouter qu’à une époque plus
récente, Gernika continue
de jouer un rôle de premier plan dans l’histoire
constitutionnelle
basque ;après la fin du franquisme et
l’avènement de la démocratie en
Espagne, le statut d’autonomie pour les provinces de Gipuzkoa,
Biscaye et Alava
adopté par référendum le 25 octobre 1979 porte le
nom de « Statut de
Gernika »et depuis l’année 1980, les
présidents ou lehendakaris successifs du
gouvernement autonome basque sont
investis de leurs fonctions dans la Casa
de Juntas de Gernika.
Le
bombardement
Lorsqu’on
parle du bombardement de Gernika, on peut dire qu’il y a
l’histoire du
bombardement en lui-même mais aussi qu’il y a toute
l’histoire –de 1937 à nos
jours- de la polémique sur le bombardement. On peut constater
que la
signification qu’a prise le bombardement au fil des ans est
devenue plus
importante que le bombardement en lui-même.
C’est le premier
paradoxe que nous
rencontrons : comment ce bombardement –qui certes a fait
plusieurs
centaines de victimes, mais n’est qu’un
pale reflet par exemple du bombardement de la ville allemande de Dresde par les Alliés qui, en
février 1945, à
la fin de la seconde guerre mondiale fit 135 000 victimes-comment
ce
bombardement a-t-il pu avoir de telles répercussions et comment
a-t-il pu
acquérir une telle dimension universelle ?
On peut remarquer aussi
que moins
d’un mois avant le bombardement de Gernika, le bombardement de
Durango, le 31
mars 1937-premier jour de l’offensive du général
Mola sur la Biscaye-avait fait
plus de 300 morts et de nombreux blessés. Ce bombardement,
pourtant le premier
par ordre chronologique est loin d’avoir eu le retentissement de
celui de
Gernika et ce, au point d’avoir été défini
récemment comme « le
bombardement passé sous silence ». Comment expliquer
cela ? Certes, le bombardement de
Durango avait été
moins intense (9 bombardiers italiens Savoia S-81 qui
déversèrent à peine, si
l’on peut dire, 12 tonnes de bombes) ; on peut noter aussi
qu’à Durango,
au contraire de Gernika, il n’y eut pas de bombes incendiaires.
Mais ces
détails techniques n’expliquent pas tout.
Déjà, le correspondant du Times à
Bilbao en 1937, George Steer avait noté que pour les Basques,
Gernika
signifiait davantage que Durango.
Il faut dire aussi que c’est dès le début de
la guerre que les
franquistes avaient bombardé la population civile :
à Otxandiano- un
village biscayen à la frontière de l’Alava- on
dénombra le 22 juillet 1936, une
soixantaine de victimes.
En fait, si le bombardement de
Gernika a atteint la dimension universelle
qui est la sienne, cela est du à la combinaison de
plusieurs
facteurs :
- le fait tout
d’abord d’avoir été
considéré comme le premier bombardement aérien
massif de l’Histoire sur une
population civile. En effet, l’emploi
massif de bombes explosives et de bombes incendiaires sur une
population civile
supposait un pas en avant dans l’horreur. Et en 1937,
l’opinion publique
n’était pas encore blasée devant de tels spectacles
dramatiques qui devinrent
malheureusement monnaie courante durant la seconde guerre mondiale et
après
celle-ci. C’est Gernika qui inaugura
cette série tragique et interminable de massacres
aériens. Ainsi, cet événement
fut et demeure de nos jours le symbole de tels crimes.
- Ensuite, le tableau de
Picasso,
grâce au génie du peintre, est devenu le symbole de la
brutalité et de l’horreur
que provoquent toutes les guerres.
- Enfin,
l’incompréhensible et
stupide négation du bombardement de la part des franquistes-qui
soutinrent tout
d’abord que Gernika avait été incendiée par
les Basques eux-mêmes avant d’en
rejeter la responsabilité exclusive sur les nazis- a
déclenché une violente
polémique qui s’est prolongée jusqu’à
nos jours et n’a cessé d’alimenter un
débat passionné. L’entêtement de cette
propagande franquiste a contribué sans
nul doute à faire de Gernika un symbole qui aujourd’hui
reste représentatif des
grandes tragédies du XX°s.
On peut dire que Gernika
incarne une
des grandes peurs du monde : l’idée
d’être bombardé ; c’est la
version moderne « du ciel nous tombant sur la
tête ».
Première question : Comment et par qui Gernika
fut-elle
détruite ?
Selon
tous les témoignages, Gernika durant les années de la
Seconde République
espagnole (depuis 1931) et les premiers mois de la guerre était
une bourgade
paisible, accueillante et pacifique. L’ambiance y était
familiale et conviviale.
Il
y avait certes grosso modo trois
blocs politiques distincts : les nationalistes basques
majoritaires (49%
des suffrages exprimés aux élections de 1936) qui
contrôlaient la Mairie, les
monarchistes et carlistes en second lieu (38,5% des suffrages à
ces mêmes
élections) et enfin le bloc du Frente
Popular-socialistes et républicains- beaucoup plus faible
(11,5% des
suffrages en 1936). Mais il n’y avait pas de véritables
tensions entre ces
forces politiques ; tout le monde se connaissait et il arrivait
souvent
que les bandes de jeunes soient composés de personnes de
différentes
sensibilités politiques.
Depuis
le début de la guerre civile espagnole (18 juillet 1936)
jusqu’à cette date
fatidique du lundi 26 avril 1937, Gernika n’avait jamais
été attaquée.
Mais
depuis le premier jour de l’offensive du général
Mola sur la Biscaye ( 31 mars
1937), l’avancée des franquistes n’avait pas
été spectaculaire. Il leur fallait
frapper un grand coup.
Ce
jour-là – lundi 26 avril 1937, vers 16 heures 30-les
cloches de l’église Santa
Maria se mirent à résonner ; elles
annonçaient l’arrivée des premiers
avions : un bimoteur allemand Dornier 17 parti de Burgos qui jeta
une
dizaine de bombes de 50 kilos puis trois avions italiens Savoia
Marchetti SM 79,
partis de Soria, qui jetèrent 36 bombes de 50 kilos.
Vers
17 heures, survint un Heinkel 111 allemand parti de Burgos qui jeta
aussi
plusieurs bombes de 50 kilos.
Vers
18 heures, arriva un autre Heinkel 111, escorté par 5 chasseurs
italiens Fiat
CR 32.
C’est
vers 18 heures que la phase la plus dure du bombardement
commença avec trois
escadrilles de bombardiers allemands Junker 52, partis de Burgos. Au
total, 19
Junker 52 qui lancèrent 20 tonnes de bombes. Les Junker52,
énormes pour
l’époque, étaient appelés par les soldats
basques les « tranvias »
(tramways). Ils avaient
une envergure de 29 mètres pour une longueur de 19
mètres. Chaque bombardier
transportait 1300 kilos de bombes : deux bombes de 250 kilos, le
reste
étant constitué par des bombes de 50 kilos et par des
bombes incendiaires. Les
bombardiers lancèrent tout d’abord des bombes explosives
et ensuite des bombes
incendiaires sur les immeubles endommagés ou détruits.
Les bombes incendiaires,
lancées 24 à la fois, pesaient à peine un kilo et
se présentaient sous la forme
de tubes d’environ 30 centimètres ; à
l’intérieur, il y avait une poudre
argentée qui se répandait par 6 ouvertures situées
à la base du tube ; ces
bombes incendiaires produisaient des températures de 2000
à 3000 degrés. Le
correspondant du Times à Bilbao
George Steer put écrire : « Ainsi, quand les
maisons s’effondrèrent
sur leurs habitants, il plut du ciel, du feu en conserve pour les
embraser ».
Pour
ajouter à l’horreur, une dizaine d’avions de chasse
beaucoup plus légers (ils
avaient un poids à vide d’une tonne et demi contre 6
tonnes aux Heinkel 111 et
Junker 52) mitraillèrent la population, en volant à basse
altitude. Il
s’agissait de Messerschmitt 109 B et Heinkel 51 allemands et de
Fiat CR-32
italiens. Ils mitraillèrent la population qui s’enfuyait
en ville, terrorisée
mais aussi dans les champs alentour, jusqu’à 4
kilomètres de Gernika, ce qui
relève davantage du sadisme que de
la
recherche d’objectifs militaires.
Au
total, une quarantaine d’avions participèrent au
bombardement. Sur le nombre de
tonnes de bombes déversées cette après-midi
là sur Gernika, les chiffres divergent
et vont généralement de 30 à 50 tonnes. A 19
heures 45, fin du bombardement, le
spectacle était dantesque ; Gernika était
dévastée et les carcasses des
maisons étaient en flammes. 70% des maisons de Gernika
étaient détruites ;
seule la ville haute (là où se trouvent la Casa
de Juntas et le chêne de Gernika) ainsi que quelques demeures
de franquistes notoires avaient
été épargnées.
Partout,
dans les rues détruites, mêlés aux corps des
humains calcinés, beaucoup
d’animaux morts.
Ce
fut la nuit qui avait chassé les avions et mis fin au
bombardement.
Gernika
brulait- on voyait l’incendie jusqu’à vingt
kilomètres- et le vent était
favorable à la propagation des flammes, portant celles-ci
d’une maison à
l’autre. La vieille ville où
le bois
était l’élément dominant des constructions,
disparut pratiquement. Les pompiers
de Bilbao n’arrivèrent qu’entre 9 heures et demie et
10 heures et demie du
soir. L’incendie ne fut totalement maîtrisé que le
lendemain vers midi et grâce
à la pluie du matin.
La
population de Gernika ce 26 avril 1937 d’une part et le nombre de
victimes
d’autre part ont fait l’objet de polémiques, les
franquistes essayant de
minimiser la population de Gernika exposée au bombardement pour
ensuite
minimiser le nombre des victimes.
On
peut raisonnablement estimer que la population de Gernika était
ce jour-là
d’environ 10 000 personnes ; il faut en effet ajouter
au chiffre de
6 000 habitants (qui est celui de la population habituelle
à l’époque) de
nombreux réfugiés civils et militaires et des soldats au
repos (3 bataillons).
C’était
de plus, jour de marché ce lundi et foire au bétail et il
y avait à Gernika,
beaucoup de paysans des villages avoisinants.
Quant
au nombre de victimes, on ne connaîtra
sans doute jamais le nombre exact des morts. En effet, moins de
72
heures après le bombardement, le jeudi 29 avril avant midi, les
troupes
franquistes et italiennes entrèrent dans Gernika. Le
gouvernement autonome
basque perdit de ce fait, tout contrôle sur le recensement des
morts et les
vainqueurs de la guerre civile ne réalisèrent jamais
d’enquêtes sérieuses sur
le nombre de victimes et ne permirent pas les investigations
d’étrangers. Les
chiffres donnés par le gouvernement basque furent de 1654 morts
et de 889
blessés. Les chiffres donnés par les franquistes
varièrent entre « moins
d’une douzaine ! » et 200. Il est difficile de
donner un chiffre même
approximatif ; sans doute plusieurs centaines de personnes
périrent-elles
ce jour-là ou des suites du bombardement.
Par
contre, ce que l’on peut affirmer, c’est qu’il
s’agit d’une opération conçue,
préparée et exécutée à partir et sur
les ordres de l’Espagne franquiste. En
effet, il est impensable que la Légion Condor (forte de
6 000
hommes ; c’est le nom de toutes les forces allemandes
envoyées en Espagne
soutenir les franquistes) ait pu mener une action de ce type de sa
propre
initiative. La responsabilité du bombardement doit être
partagée entre les généraux
Franco et Mola et Speerle, le commandant en chef de la Légion
Condor.
De
plus, il faut savoir que la Légion Condor (qui disposait
d’une centaine
d’avions en Espagne) avait un statut spécial, à
savoir qu’elle était aux ordres
directs de Franco. Si la responsabilité est conjointe entre
Franco et la Légion
Condor, en dernier ressort, la responsabilité ultime et morale
du bombardement
incombe bien à Franco. Il faut savoir qu’une note de
l’Espagne franquiste du 6
janvier 1937 disposait que sans ordre exprès, on ne devait
bombarder aucune
ville.
Deuxième
question : Pourquoi Gernika fut-elle détruite ?
Il
faut insister sur le fait que Gernika, à 20 kilomètres du
Front, ne constituait
en aucune façon un objectif militaire ; ce
n’était qu’un modeste nœud de
communication, qui ne disposait que d’une seule mitrailleuse
anti-aérienne.
D’ailleurs,
on peut remarquer que les seuls objectifs que l’on pourrait
qualifier de
militaires (un pont appelé Pont de Renteria et deux fabriques
d’armes
légères : Unceta y Cia et Talleres de Guernica) ne furent pas
détruites par le bombardement. En outre, pourquoi aurait-on
employé des bombes
explosives de 250 kilos et des bombes incendiaires pour détruire
un pont ?
Le chef d’Etat-major des forces détachées de la Luftwaffe, le lieutenant-colonel Von Richtofen parla de
« succès technique complet » ; cette
expression serait difficile
à comprendre si le principal objectif de l’attaque avait
été la destruction du
pont, puisque celui-ci demeura intact.
Ce
qui faisait problème pour les franquistes, c’était
la résistance acharnée des
Basques malgré leur faiblesse aérienne. On aura une
idée de cette faiblesse en
prenant connaissance de ce télégramme du
Président Aguirre au gouvernement
républicain espagnol : »Nous n’avons
qu’un seul avion de chasse qui
ne peut sortir car ce serait le livrer à
l’ennemi. »
Cependant,
du 31 mars au 26 avril 1937, malgré les intenses raids
aériens et les assauts
terrestres massifs, les forces de Mola n’avaient avancé
que de 16 kilomètres.
Il fallait coûte que coûte pour les franquistes briser
cette résistance basque.
Les franquistes craignaient de ne pouvoir conquérir Bilbao,
comme les carlistes
par deux fois au cours du XIX°s n’avaient pu le faire.
La
détermination du général Mola de conquérir
la Biscaye était entière si l’on en
juge par sa déclaration publiée par le Daily
Herald le 29 avril (il s’agit de
la
dernière déclaration publique de Mola avant sa mort dans
un accident d’avion le
3 juin 1937) : « Nous raserons la Biscaye, et son
emplacement nu et
désolé enlèvera à l’Angleterre
l’envie de soutenir contre nous les bolcheviks
basques. Il faut détruire la
capitale
d’un peuple perverti qui ose s’opposer à la cause
irrésistible de l’idée
nationale. »
La
finalité la plus importante pour les franquistes, c’est
d’atteindre le moral
des Basques en élevant progressivement le niveau de
violence ; ce qu’ils
recherchent, c’est l’effet d’incendie, de destruction
et de démoralisation de
la population : seulement ainsi, on peut expliquer le
mélange de bombes
explosives et incendiaires et le mitraillage de la population.
De
plus, en détruisant Gernika, les franquistes détruisaient
bien plus qu’une
petite ville basque. Ils s’attaquaient à la ville symbole
des libertés et des
traditions basques. Ils s’attaquaient- même s’il ne
fut pas touché- au chêne de
Gernika et à ce que représentait pour les Basques la
chanson « Gernikako Arbola »
devenu un
véritable hymne. Ils s’attaquaient aussi et surtout
à la ville où fut constitué
le 7 octobre 1936, le premier gouvernement basque de l’Histoire
présidé par
José Antonio de Aguirre. En s’attaquant à Gernika,
les franquistes cherchaient
à humilier l’Histoire basque, prétendaient faire
plier la fierté et
l’aspiration à la liberté du peuple basque.
Les répercussions
Après
ce sauvage bombardement d’une population civile, les
répercussions furent très
importantes. Malgré une intense propagande franquiste, un
sentiment de colère
et d’aversion se manifesta dans les pays démocratiques
contre les responsables
de cet acte de barbarie. L’émotion fut
particulièrement forte en France, en
Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
Pour
faire connaître au monde ce qui s’était
réellement passé à Gernika, le
rôle des correspondants de presse étrangers
qui se trouvaient à Bilbao, fut capital. Or, il n’y avait
que 4 correspondants
de presse étrangers à Bilbao. Le travail et les
récits de ces correspondants de
presse étrangers à Bilbao ont été
étudiés en détail dans le magnifique livre de
Herbert R. Southworth : « La
destruction de Guernica. Journalisme, diplomatie, propagande et histoire »
publié en français en 1975 aux Editions Ruedo
Iberico.
L’un de ces
correspondants, George
Steer, du Times de Londres, apprend
le bombardement à 8 heures et demie du soir, à
Bilbao ; il se rend
immédiatement à Gernika et recueille des
témoignages. Son récit
particulièrement bien documenté paraît dans le Times le 28 avril sous le
titre : « La tragédie de
Gernika »et est également repris dans le
New-York Times. Il écrira sur la guerre civile au Pays
basque et sur le
bombardement de Gernika un livre remarquable publié en 1938
à Londres : The tree of Gernika qui
constitue un des
meilleurs ouvrages sur la période du gouvernement basque en
1936-1937 (Malheureusement,
s’il existe une traduction espagnole de ce livre, il
n’existe aucune traduction
française).
Après
Gernika, le peuple britannique saisit le danger ; sous la pression
de
l’opinion publique et de l’opposition libérale et
travailliste, le gouvernement
conservateur prend deux décisions : il décide
d’accueillir 4 000
enfants basques en Grande-Bretagne et il décide de
protéger tous les convois
chargés de l’évacuation par mer de Bilbao.
En France, ont lieu notamment à
Paris, des meetings de protestation. Le rôle du chanoine Alberto
de Onaindia, un
proche du Président Aguirre, est essentiel. Alberto de Onaindia
était à Gernika
le 26 avril ; il s’entretient avec le Président
Aguirre le 27 , prend
l’avion Bilbao-Biarritz le 28 et le train Biarritz-Paris dans la
nuit du 28 au
29. C’est à Paris, le premier témoin oculaire qui
dénonce à la face du monde
entier les auteurs du bombardement. Il est interrogé par
plusieurs
personnalités, au premier rang desquels François Mauriac
qui s’avérera dès lors
comme le défenseur le plus prestigieux de la cause basque.
.
Jusqu’à Gernika, on peut dire que François Mauriac,
profondément troublé par
les événements d’Espagne, hésitait. Son
biographe, Jean Lacouture écrit :
« Pour le faire entrer décidément dans le camp
républicain, il manque à
François Mauriac une sorte de signe. Il en sera bientôt
frappé. » Ce
signe, évidemment, c’est Gernika. Cet
événement d’une importance extrême pour
lui, lui fait sauter le pas, change radicalement sa vision de la guerre
d’Espagne et le rapproche définitivement des Basques. A
partir de ce moment, François
Mauriac discerne clairement les menaces que font peser sur la paix du
monde les
dictatures fascistes, menaces qui se préciseront deux ans plus
tard et qui
seront directement à l’origine de la seconde guerre
mondiale. Il écrit dans
ses Mémoires Politiques : « …Je
fus conscient très tôt de ce que l’intervention
d’Hitler et de Mussolini en
Espagne, sans que les démocraties tentent rien contre eux,
décidaient de notre
destin et que nous n’éviterions pas
un
malheur immense. »
Dans L’Aube (quotidien
démocrate-chrétien) du 30 avril-1°mai 1937,
l’éditorial de Georges Bidault a pour titre
« Le martyre de
Guernica » ; voici la fin de cet article :
« Pendant trois
heures, les avions allemands ont bombardé cette bourgade sans
défense. Pendant
trois heures, les avions allemands ont dans les rues et dans les champs, tiré à la mitrailleuse sur
les femmes
et les enfants. Tout cela, au nom de la civilisation. Et
même, pour la Croisade, comme on dit. »
La guerre au Pays Basque
d’Espagne désagrège les forces catholiques
françaises ; l’opinion publique
catholique sur la guerre civile d’Espagne se scinde en deux. Un
manifeste de
protestation des catholiques français est publié par La Croix et L’Aube le 8
mai ; il a pour titre : « Un appel à tous
les hommes de
cœur » ; parmi les signataires, des noms
très connus : François
Mauriac, Emmanuel Mounier, Jacques Maritain, Georges Bidault, Gabriel
Marcel,
Claude Bourdet etc…Ce manifeste déclarait :
« C’est aux catholiques,
sans distinction de parti, qu’il appartient d’élever
la voix les premiers pour
que soit épargné au monde le massacre d’un peuple
chrétien. Rien ne justifie,
rien n’excuse les bombardements de villes ouvertes , comme celui
de
Guernica… »
Pour
sa part, le philosophe Jacques Maritain lance en mai 1937, un Comité
Français pour la Paix civile et religieuse en Espagne
qui avait pour
objectif de parvenir à une médiation en vue
d’aboutir à la paix en Espagne.
Dans les faits, ce Comité joua un rôle très
important concernant l’aide
humanitaire et l’accueil des réfugiés basques sur
le sol français ; le
soutien aux Basques devint une des activités les plus
importantes de ce comité
appelé parfois Comité Maritain.
Mais il faut bien voir que ce
courant catholique favorable aux Basques, s’il était
animé par des
personnalités d’un incontestable prestige, restait
minoritaire par rapport aux
forces politiques conservatrices françaises qui
s’étaient rangées aux côtés du
général Franco.
Ainsi, de nombreux écrivains et
journalistes prirent la plume pour diffuser en France les thèses
de la
propagande franquiste ; parmi les plus connus, les
écrivains fascisants
Maurice Bardèche et Robert Brasillach, René Benjamin,
Paul Claudel, Claude
Farrère. Ce dernier
écrivit : « …La conduite des rouges
a été
inqualifiable. Je suis allé à Guernica. J’ai la
certitude que tout y a été
détruit exclusivement par la dynamite. J’ai
l’habitude de voir les choses de la
guerre et je ne puis confondre la trace de quelques obus, visible, avec
la
preuve matérielle de l’attentat à la dynamite et de
l’incendie. »
Dans son livre déjà cité,
l’historien américain Herbert R. Southworth insiste sur le
rôle plus qu’ambigu
de l’Agence Havas, agence de presse qui manipula toutes les
nouvelles
concernant Gernika. Devant cette carence flagrante de l’Agence
Havas, tous les
journaux français qui voulaient informer leurs lecteurs sur ce
qui s’était
réellement passé à Gernika, devaient le faire
à partir des dépêches et articles
provenant de Londres.
En Pays Basque de France, les
réactions sont
mitigées. La grande majorité de la population, surtout
à l’intérieur du pays, a
été réceptive à la propagande franquiste et
suit aveuglément son leader, le
député Jean Ybarnégaray qui, depuis le
début du conflit, a pris fait et cause
pour Franco. C’est ainsi que dans Eskualduna
(l’hebdomadaire du clergé, rédigé en langue
basque), le numéro publié après le
bombardement ne fait pas mention de celui-ci. Le
quotidien bayonnais de gauche Sud-Ouest républicain
est
bien seul pour écrire : « Guernica
n’existe plus : les barbares fascistes dans leur haine
à ce qui est grand,
à ce qui est noble, à ce qui est sublime ont
détruit sauvagement Guernica,
sanctuaire de la tradition et berceau du renouveau basque. »
La polémique fut la
plus violente en
Angleterre. Un débat eut lieu le 3 mai à la Chambre des
Communes. Le ministre
des affaires étrangères du gouvernement conservateur
Anthony Eden dut répondre
à plusieurs questions de l’opposition travailliste et
libérale qui accusa
ouvertement les Allemands d’être les responsables du
bombardement.
Aux
Etats-Unis, le sénateur Borah de l’Idaho fustigea le
fascisme dans son discours
du 6 mai 1937 au Sénat. Il s’écria :
« Une cité non armée, non
combattante fut choisie pour l’exemple le plus révoltant
d’extermination
massive des temps modernes. Telle a été la
stratégie fasciste. » Pour
Southworth, ce discours du sénateur Borah constitue la plus
vigoureuse
dénonciation des destructeurs de Gernika jamais
proférée devant un Parlement.
Bien
entendu, dans les pays alliés de l’axe Rome-Berlin, la
nouvelle de la tragédie
de Gernika fut passée sous silence.
La controverse
historique
La
controverse historique concernant les responsables du bombardement
surgit dès
le lendemain de celui-ci ; personne en effet, ne voulait
apparaître face
au monde comme l’auteur de la destruction de Gernika.
La position des nationalistes
basques est affirmée dès le matin du 27 avril par le
Président José Antonio de
Aguirre, dans une allocution à Radio Bilbao : «
Devant Dieu et
devant l’histoire… j’affirme que durant trois heures
et demie, les avions
allemands bombardèrent avec un acharnement inconnu
jusqu’ici, la population de
l’historique ville de Gernika…Je demande au monde
civilisé s’il peut permettre
l’extermination d’un peuple qui a toujours
considéré comme son plus grand titre
de gloire la défense de sa
liberté et de
la sainte démocratie, que Gernika par son arbre
millénaire a symbolisé à travers
les siècles. »
Un manifeste du clergé basque
est publié le 11 mai, signé par de nombreux prêtres
biscayens dont 10 témoins
oculaires. Deux signataires de ce manifeste sont
dépêchés au Vatican pour
parler de la situation tragique du peuple basque après ce
bombardement. Mais le
30 mai, le Cardinal Pacelli – le futur pape Pie XII qui
après son accession au
pontificat au début de 1939, allait se révéler
très favorable aux franquistes –
reçut fort mal en sa qualité de Secrétaire
d’Etat ces deux représentants du
clergé basque. Avant l’entrevue, un envoyé du
Vatican les avait avertis qu’il
ne convenait pas de parler de la destruction de Gernika et qu’il
ne fallait
donner à l’audience aucune publicité.
Le
Cardinal Pacelli reçut les deux prêtres basques debout
durant exactement huit minutes, les
laissant interloqués et au bord du
désespoir. Dès le 28 août 1937, le Vatican
reconnaissait de facto le régime de Franco.
Trois jours auparavant,
l’hebdomadaire des Pères dominicains Sept,
publié à Paris et qui avait donné largement la
parole à Alberto de Onaindia à
propos de Gernika, reçut de Rome un télégramme lui
retirant le droit de
paraître.
La position des franquistes fut
fixée par des communiqués du
Bulletin Officiel d’Information de
Salamanque. Dès la nuit du 27 avril, un communiqué
indiquait que Gernika avait
été
« détruite et brûlée par le feu
intentionnel des rouges. »Deux jours
plus tard, un autre communiqué niait l’existence
d’avions allemands dans le
camp franquiste et parlait de l’impossibilité pour les
avions de voler à cause
de la météo.
La
presse franquiste attribua la destruction de Gernika aux Basques
eux-mêmes, au
« vandalisme rouge »et au « sadisme
marxiste ». On peut
lire dans le journal franquiste « La Voz de
España » du 29
avril : « Guernica est détruite par le feu et
par l’essence. Les
hordes au service criminel d’Aguirre, président de la
République d’Euzkadi,
l’ont incendiée et l’ont convertie en
ruines » et le jour suivant :
« Guernica a été détruite par les
rouges au service des séparatistes
basques. »
Luis
Bolin, le chef du Bureau de Presse de
Franco à Salamanque déclara pour sa
part : « Les séparatistes
basques avaient besoin d’un fait sensationnel…Ils
dépêchèrent à Gernika des
brigades de dynamiteurs asturiens chargés d’incendier et
de faire exploser les
maisons… Cela étant fait, ils assurèrent que la
destruction était l’œuvre de la
Légion Condor ».
Voilà
brièvement résumée, la version officielle
franquiste maintenue pendant les 30
premières années suivant le
bombardement.
Commentant cette version,
Alberto de Onaindia écrivit : « Ainsi, nous
étions si dégénérés et
criminels pour être capables d’enfermer nos femmes et nos
enfants dans les
caves de nos maisons et pour y mettre ensuite le feu, les condamnant
à être la
proie des flammes et être ensevelis sous les décombres de
leurs propres
maisons. Jamais, on n’avait entendu une telle calomnie
satanique. »
Il
faut savoir qu’après la prise de Gernika par les
franquistes, les
correspondants de guerre étrangers ne purent entrer dans cette
ville que le 1°
mai, soit 48 heures après ; c’est qu’il fallut
du temps aux franquistes
pour camoufler les trous des bombes, imprégner les murs
d’essence pour faire
croire à un incendie allumé depuis le sol et aussi pour
trouver les bons
témoins capables de répéter devant les
journalistes la version officielle qu’on
leur avait préalablement apprise.
Le
comble du cynisme fut atteint en septembre 1939 lorsqu’un
décret proclama
l’adoption de Gernika par Franco ; il fut aussi atteint en
février 1946,
jour où Franco-à l’initiative du maire phalangiste
de Gernika- fut déclaré
« citoyen d’honneur [hijo adoptivo]
de la ville de Gernika. »
Encore en 1948, Franco
continue à rejeter sur les « rouges », la
responsabilité des
dommages. Il déclare cette année- là que Gernika
avait été « brûlée et
détruite par les rouges eux-mêmes, qui dans leur furie
destructrice, ont
cherché à rejeter la culpabilité sur les
escadrilles allemandes. Sur cet acte
d’incendie volontaire, s’élève la nouvelle
Guernica, la ville la plus belle
d’Espagne. »
Dans
les années 1970, la controverse historique rebondira avec des
auteurs que l’on
peut qualifier de « néo-franquistes ».
Avec des nuances, ces auteurs
développeront la thèse selon laquelle il y a bien eu
bombardement à Gernika,
mais que la responsabilité du bombardement incombe aux
allemands ; Franco
n’aurait pas été au courant.
Parmi ces auteurs
« néo-franquistes », on peut citer le
Colonel José Manuel Martinez
Bande ; Ricardo de la Cierva, historien quasi officiel du
franquisme dans
les années 1970 ; deux frères, tous deux
généraux franquistes Ramon et
Jésus Salas Larrazabal ou encore Vicente Talon dans ses livres
« Arde Guernica » (Guernica
brûle ; première édition en 1970) et
« El holocausto de Gernika »
(L’holocauste de Gernika ;
1987).
Ces
positions des néo- franquistes avaient été rendues
inévitables par les
confessions et aveux des allemands eux-mêmes.
Au
procès des criminels nazis, à Nuremberg, après la
fin de la seconde guerre
mondiale, le maréchal Goering
déclara : « Guernica fut un banc
d’essai pour la Luftwaffe. C’est lamentable mais nous ne
pouvions faire autre
chose. A l’époque, ces expériences ne pouvaient pas
avoir lieu ailleurs. »
Il faut noter qu’à ce procès, le gouvernement
basque en exil essaya de faire
juger la destruction de Gernika comme crime de guerre ; mais tous
ses
efforts furent inutiles : les alliés
décidèrent que l’on jugeait les nazis
seulement pour les crimes commis durant la seconde guerre mondiale.
A
partir de 1953, plusieurs officiers allemands –dont Von
Richtofen, Chef d’Etat-major
de la Légion Condor- reconnurent que ce furent les aviateurs
allemands qui
détruisirent Gernika.
Actuellement,
la polémique se poursuit avec des auteurs pro-franquistes dont
le plus
prolifique est sans doute Pio Moa avec entre autres ouvrages, son
livre : Los Mitos de la guerra civil
(Les mythes de la guerre civile) publié en 2003. Pio
Moa a une vision bien particulière. Qu’on en juge !
Il écrit :
« Il est clair que le bombardement de Gernika est le
résultat d’une
décision personnelle de Richtofen, en contradiction avec
l’ordre de Mola ;
qu’il avait un objectif militaire
évident…qu’il n’a supposé aucune
tentative
spéciale de bombardement sur la population civile, ni ne
prétendait à la
destruction de la ville ; qu’il n’avait aucune
intention d’attaquer les
symboles basques et qu’il occasionna environ une centaine de
victimes, au
maximum 120. » Il ajoute : « Il est
fascinant de voir
comment un événement sans doute terrible, mais non
extraordinaire au sein du
conflit, devint un des mythes les plus intenses, émotifs et
démesurés. »
La seconde guerre
mondiale
Pendant
la seconde guerre mondiale, le mythe de Gernika atteint peut-être
son point
culminant.
Le
premier char de la 2° DB du général Leclerc, entrant
dans Paris libéré en août
1944 porte le nom de « Guernica. »
Le
bataillon que forme le gouvernement basque pour réduire la poche
allemande du
Médoc et de La Pointe de Grave prend le nom de
« Bataillon Basque Guernica ».
Il est intégré dans le Régiment Mixte Marocains et
Etrangers (R.M.M.E.) Après
les combats victorieux d’avril 1945, le général de
Gaulle, venu en Médoc passa
les troupes en revue sur l’aérodrome de Grayan, salua
longuement le drapeau
basque et déclara au chef du bataillon, Kepa Ordoki :
« Commandant,
la France n’oubliera jamais les efforts et les sacrifices
accomplis par les
Basques pour la libération de son sol. » Le drapeau
basque Ikurriña reçut la Croix de Guerre.
Le
26 avril 1945 –huit ans jour pour jour après le
bombardement - le bataillon
Gernika défila triomphalement avec toutes les autres forces de
la Brigade
Carnot, dans les rues de Bordeaux.
Le
tableau de Picasso
Ce
qui incontestablement contribua puissamment
à faire acquérir à Gernika une dimension
universelle, ce fut le tableau
de Picasso qui, pour beaucoup de critiques d’art, restera comme
l’œuvre
picturale magistrale du XX°s. Picasso lui-même a
déclaré : « C’est
l’œuvre la plus importante de ma vie ».
On
connait le mot fameux de Picasso : quand un officier allemand
durant la
seconde guerre mondiale lui demanda s’il était
l’auteur du Guernica, Picasso
répondit : « Non, c’est
vous ! »
Picasso
avait reçu en janvier 1937, une commande du gouvernement
républicain espagnol
en prévision de l’Exposition Internationale de Paris qui
devait se tenir du 24
mai au 1° novembre 1937. Il était âgé alors de
54 ans. Picasso ne semblait
guère déployer une grande activité pour honorer
cette commande ; mais
après le bombardement, exactement le 1° mai 1937, il se mit
d’arrache-pied à
l’ouvrage et le 13 juin, il avait achevé sa toile aux
dimensions
imposantes : 7,76 mètres sur 3,49 mètres. On peut
remarquer que la toile
est en noir et blanc avec des tons de gris, rappelant les photos de
Gernika
détruite que Picasso avait vues dans les journaux de
l’époque. Lorsque le
pavillon de l’Espagne fut inauguré avec retard le 12
juillet 1937, Guernica
figurait en bonne place, à droite de l’entrée.
Les
avis sur la toile furent d’ailleurs dans les premières
années, assez partagés.
Guernica
voyagea en Scandinavie de janvier à avril 1938, puis en
Grande-Bretagne fin
1938-début 1939. Le 1° mai 1939, Guernica arrive aux
Etats-Unis : il est
exposé à New York et dans les principales villes.
Ce
n’est qu’après la seconde guerre mondiale que sa
réputation internationale est
établie ; la toile se trouve à New York, au Museum of Modern Art, MOMA, jusqu’en septembre
1953. On peut la
voir en Europe de 1954 à 1956 avant qu’elle ne revienne
à New York.
En
1969, Picasso rappelle que le tableau appartient au peuple espagnol,
auquel il
sera restitué « lorsque les libertés
républicaines seront rétablies en
Espagne » ; l’année suivante, il
précise : « lorsque les
libertés publiques seront rétablies en
Espagne ». Picasso meurt en avril
1973.
Après
la mort de Franco et le retour de la démocratie en Espagne, le 9
septembre
1981, le tableau quitte New York pour Madrid où
il sera exposé dans une annexe du Prado, dans le grand
salon central du Cason del Buen Retiro avant
d’être
transféré en 1992 au Musée d’art
contemporain Centro de Arte Reina Sofia où il
se trouve toujours.
Les
madrilènes resteront sourds aux désirs des Basques de
voir le tableau
s’installer à Gernika ou à Bilbao, même de
façon temporaire. Ce sont des
raisons techniques (mauvais état du tableau, risques pour son
intégrité) qui ont
été invoqués par l’ancien Président
du Gouvernement José Luis Zapatero, par les
experts et par les membres du conseil d’Administration du
Musée Reina Sofia
pour s’opposer au transfert. La campagne « Guernica
Gernikara »(le Guernica à Gernika) est
restée sans
écho. L’ancien Président du Parti Nationaliste
basque, Xavier Arzalluz
s’adressant aux madrilènes, déclarera :
« Nous, nous fournissons les
morts mais vous, vous gardez le tableau ».
Le
tableau reproduit 6 êtres humains et 3 animaux. De droite
à gauche, une femme
tombe dans le vide, en flammes ; une autre femme sort par une
fenêtre,
avec une lampe ; une troisième femme, au-dessous, fuit la
catastrophe ; un cavalier blessé, au centre ; un
guerrier démembré,
sous les sabots du cheval ; un oiseau, près de la gueule du
cheval ;
une autre femme, à gauche, qui tient un enfant mort ; au
dessus du cheval,
une forme ovale symbolise un soleil-ampoule- œil.
L’ensemble
du tableau symbolise le désespoir et la douleur, l’horreur
que représente le fascisme
aux yeux des républicains.
Le
professeur d’esthétique Van Hansbergen, auteur d’un
livre sur le tableau,
écrit : « Ce tableau est un cri contre la
barbarie et tout le monde
le comprend ; il nous parle à tous. » Pour lui,
le message contenu
dans le tableau traverse toutes les contingences et
spécificités, les
différences culturelles et géographiques et même
les barrières qui divisent les
générations.
Joseba Elosegui
Un
épisode dramatique- en relation avec le bombardement de Gernika-
eut lieu le 18
septembre 1970, au fronton Anoeta de Saint-Sébastien, à
l’occasion des VI°
Championnats du Monde de Pelote Basque. Lors de la
cérémonie d’inauguration
présidée par le général Franco, un homme,
après s’être aspergé d’essence et
avoir mis le feu, se lança depuis les galeries, d’une
hauteur de 8 mètres et
tomba en flammes sur la cancha en criant : « Gora
Euzkadi Askatuta » (Vive le Pays basque libre).
Il
s’agissait de Joseba Elosegui, originaire de
Saint-Sébastien, âgé de 55 ans. Il
avait été témoin en 1937, du bombardement de
Gernika alors qu’à peine âgé de 22
ans, il était capitaine d’un bataillon qui se trouvait au
repos dans cette
ville.
Il
avait laissé un manuscrit qui fut publié quelque temps
après son action
d’Anoeta sous le titre « Quiero
morir por algo » (Je veux mourir pour quelque chose). Il
y expliquait
qu’il avait voulu rappeler au général Franco, un de
ses grands crimes : la
destruction de Gernika. Les flammes qui brûlaient son corps
étaient les mêmes
que celles qui avaient brûlé à Gernika, 23 ans
auparavant. Joseba Elosegui
survécut à ses blessures et fut élu plus tard en
1977 député puis en 1979
sénateur sous les couleurs du Parti Nationaliste Basque, parti
qu’il
abandonnera plus tard pour le parti Eusko Alkartasuna. Il est mort en
1990.
Gernika et l’Allemagne
Je
voudrais dire un mot des relations récentes entre Gernika et
l’Allemagne.
Il
faut comprendre qu’aujourd’hui pour les Allemands, Gernika
est un épisode
relativement mineur des crimes nazis. De plus, pour les Allemands, le
caractère
symbolique de cette cité et l’attachement des basques
envers elle, est
pratiquement inconnu.
En
1989, Gernika se jumela officiellement avec Pforzheim (ville du
Bade-Wurtemberg
de 120 000 habitants). Le maire de Pforzheim déclara
à cette occasion :
« Les Allemands ont apporté à votre ville
beaucoup de misère et de
souffrance ; pour cela, personnellement, je vous demande
pardon. » Il
faut savoir que Pforzheim a été bombardée par les
Alliés en février 1945 ;
il y eut 17 000 morts (20% de la population) ; les
habitations
détruites représentaient 83% du total des habitations.
Mais
il n’y a eu aucune reconnaissance de la culpabilité des
Allemands dans le
bombardement de Gernika de la part du gouvernement ou du Parlement
allemands.
Cependant,
en avril 1997, pour les cérémonies du 60°
anniversaire, un message du Président
allemand Roman Herzog était lu aux
survivants du bombardement ; le président allemand y
déclarait : « Je veux assumer ce
passé et reconnaître
expressément la faute des avions allemands. J’adresse aux
survivants de
l’attaque et aux témoins de l’horreur vécue,
mon message de condoléance et de
deuil. »
Rareté des lieux
de mémoire à Gernika
Dernière
réflexion : on peut regretter qu’il n’y ait
toujours pas de grande œuvre
monumentale à Gernika rappelant le bombardement. Celui-ci
n’est évoqué que par
deux sculptures (l’une du sculpteur anglais Moore et
l’autre du sculpteur
basque Chillida, toutes les deux dans le Parc des Peuples
d’Europe), que
par le buste de George Steer, inauguré en 2006 et par le Musée
de la Paix,
« Bakearen Museoa », un
musée ouvert en 1998, intéressant, mais de dimensions modestes. Il est à noter que ce
musée se veut
à la fois le musée de Gernika du passé (symbole de
la liberté, des Fueros, de la démocratie
basque) et le
musée de Gernika du présent (la réconciliation,
les droits de l’homme, le
bombardement de Gernika, le Guernica de Picasso).
Conclusion
En
conclusion, il convient de rappeler que pendant au moins 40 ans, la
dictature
franquiste a empêché un quelconque débat
scientifique, politique et humain sur
le bombardement ; pourtant, son importance est manifeste ;
pour
beaucoup, c’est le premier acte de la seconde guerre
mondiale ; selon le
mot de Churchill : « Guernica fut une horreur
expérimentale ». La
propagande franquiste, en niant l’évidence, a
contribué à faire de Gernika, un
symbole.
En
ce XX°s où ce sont déroulées deux guerres
mondiales et tant de guerres civiles et de
conflits locaux,
d’holocaustes et de goulags, d’expériences de
régimes totalitaires de droite
ou de gauche, on peut dire que Gernika
est un symbole de plus des tragédies dont a souffert
l’humanité.
Gernika,
ville-martyre donc, mais aussi on l’a vu, ville d’Histoire,
ville sacrée, ville
institutionnelle, ville symbole.
Comme le dit le poète « Eman ta zabalzazu munduan Frutua » (donnez et répandez votre fruit dans le monde), le symbole de Gernika n’est pas limité au Pays Basque ; il y a longtemps qu’il a dépassé les frontières de ce pays. Gernika, c’est bien sûr un symbole qui dit quelque chose au cœur de tout Basque mais c’est aussi et surtout un symbole universel, un symbole qui dit quelque chose au cœur de toutes les femmes et de tous les hommes du monde épris de démocratie, de liberté, de justice, de tolérance et de paix.