Qu’est-ce qui a fait l’Espagne? (3)
Ils sont entre eux comme avec les étrangers. La plus petite dispute est suffisante pour, tout de suite, sortir le couteau.
Il semble qu’ils ne savent pas s’affronter sans effusion de sang. " Sangre ! " Ce mot est en lui-même la représentation
du sang et de l’effusion de sang en espagnol. Donnez -leur du sang…
Et qu’est-ce donc qui leur donne cette mauvaise inclination ? D’où tiennent donc les Espagnols ce désir détestable à faire couler
le sang, cette abominable facilité à tuer des hommes? Pas d’eux même. En effet, comme nous l’avons dit l’Espagnol, par nature,
à bon cœur. Il y a là quelque chose d’autre. Quoi donc ? Selon beaucoup d’avis, et selon moi aussi cette sauvage habitude
vient des courses de taureaux.
En effet, le plus souvent, l’homme désire violemment ce qu’il a devant les yeux Un dicton enfantin dit " Ce qui est vu est appris
" Ainsi, pareillement, vous pouvez dire la même chose de chacun de nous. A tout age nous sommes tous de grands enfants ou au moins
la plupart. Nous désirons ardemment ce que nous voyons, particulièrement ce qui réveille nos penchants, quoi que ce soit :
le manger, le boire ou le spectacle. Ainsi, le buveur ne peut rester sans prendre du vin ou tout autre chose portant le nom de boisson.
Plus elle est forte, plus il en veut.
Pourtant cette curiosité malsaine de voir avec ses yeux est plus difficile à vaincre que la goinfrerie ou l’ivrognerie.
L’ivrogne qui a le ventre plein cesse de boire.
Mais les yeux ne se repaissent pas en regardant, comme le ventre en buvant. Ne dit-on pas aussi pour cela :
" Les yeux de certains sont plus affamés que le ventre " ? Moi je croirais que les yeux de tout le monde sont ainsi.
Et, maintenant voici où en vient mon propos : s’il y a un spectacle cruel qui excite les yeux et les nerfs de l’homme,
qui fait bouillir son sang, c’est cette vue de l’homme et du taureau luttant à la vie, à la mort. L’un ou l’autre doit périr là.
Et la peur que l’homme puisse mourir à la place lieu du taureau, cela même est un plaisir pour les spectateur.
